Cette page a pour objectif de diffuser de courts textes extraits des écrits de Barbey (romans, correspondances, articles de presse, etc) destinés à faire apprécier à celles et ceux qui connaissent peu ou mal, un des grands des lettres françaises et les inciter à lire ou à relire un écrivain d'atmosphère, original , rebelle, de conviction, dérangeant parfois mais qui ne laisse jamais indifférent .
Ces textes sont proposés par les membres de la Société Barbey qui les ont croisés au cours de leurs lectures et qui les ont estimés significatifs du style, de l'esprit, de l'inspiration, des valeurs, des amours et des répulsions de l'écrivain.
Bonne lecture à Toutes et Tous.
En guise d'amorce de cette nouvelle rubrique, M. Jacques Jourdam, l'administrateur de ce site, vous propose les quelques lignes suivantes dans lesquelles se révèlent l'art du peintre (avec la plume) qu'est Barbey. Il nous brosse un tableau très impressioniste du bord de mer, ponctué de considérations très personnelles voire intimes qui situent bien le personnage :
13 décembre (1864)
" ... - Parti pour Carteret, éternel comme Barneville, si ce n'est que les maisons blanches, qui faisaient un si éblouissant effet loin sur la grève, sont grises et se confondent avec les collines qui les surplombent. - En allant, je ne les voyais pas, et je me disais : cette moitié de Carteret a-t-elle été engloutie ? Mais en poussant le cheval à travers les flaques d'eau, plissées par la brise du bord de la mer - cette blanchisseuse qui plisse si fin - j'ai distingué les maisons grises, comme les fantômes des anciennes maisons blanches. - Suivi la ligne du havre, dont la couleur n'a pas bougé - car la mer est plus immortelle que la terre - et qui est toujours une aigue-marine - Le vent soufflait frais ; - pas une âme. - Deux bricks sur le flanc, à une portée de pistolet l'un de l'autre ; vides tous deux, sous leurs agrès, les matelots partis et en liesse, es cabarets de la côte ; - manière d'attendre la marée, qui redressera les deux bricks gisants sur leur quilles et les remportera peut-être ce soir. - Allé seul jusqu'au pied de la falaise, que je n'ai pas montée pour m'épargner la vue navrante des cultures qu'ils ont faites sur les sommets sublimes. Tourné Carteret, qui a bâti quelques nouvelles maisons insupportablement bourgeoises sur la croupe de ses dunes. - Quelques femmes, les yeux tournés avec des enfants pendus à leur tablier, avec des yeux plus étonnés encore, - voilà tout ce que j'ai vu de vivant ...
Ai fait atteler, - partis pour le plein par les dunes et les sables mouvants. - Entre deux dunes, ai revu la mer, - ma mer, - que je pourrais orthographier ma mère ; car elle m'a reçu, lavé et bercé tout petit. - Il était quatre heures et demie ; le soleil crevait au-dessus d'elle un banc de nuages couleur violette et faisait sur les vagues comme une gloire d'or, qui les rendait étincelantes; - pas verte alors comme elle l'est presque toujours, mais d'un bleu très pâle, sans vagues, sans ces écumes qui sont comme des moutons dans ce pré liquide, tout en oscillations, en frissonnements, en lames lumineuses. - C'était l'heure du flux, elle arrivait, et très vite ; elle arrivait sur toute la ligne immense qui va de Carteret à Portbail ; mais sinueusement, non d'une seule venue et en ligne de bataille, comme je l'ai vue souvent, mais par pointes , se bombant ici, se creusant là, dessinant sur le sable des anses mobiles ..."
Mémorandum pour L'Ange Blanc, pages 47 & 48, édition de la Société Barbey d'Aurevilly, 2001.